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Colloque annuel du Groupe d’Études Sartriennes Paris, les 24 & 25 juin 2022

Paris, 31st January 2022

Colloque annuel du Groupe d’Études Sartriennes

Paris, les 24 & 25 juin 2022 

Appel à communications

 

Le Groupe d’Études Sartriennes (GES) lance son appel pour le colloque annuel qui se tiendra les vendredi 24 et samedi 25 juin 2022 à Paris (En Sorbonne, salle des Actes).

L’objectif du GES, qui réunit chaque année une soixantaine de spécialistes de Sartre (universitaires ou non) est de soutenir le développement des perspectives nouvelles sur cette œuvre majeure, de permettre aux enseignants et aux chercheurs de présenter leurs travaux en cours et de promouvoir les études sartriennes à un niveau national et international.

Le GES propose aux enseignants et chercheurs débutants ou confirmés de soumettre une proposition de communication scientifique originale portant sur la pensée et les écrits de Sartre (littérature, philosophie, textes politiques), ou dont l’objet (auteur, question) est en relation directe avec ceux-ci.

Pour l’édition 2022, le GES souhaite encourager deux séries de propositions de communication portant sur les rapports de l’œuvre sartrienne aux questions de classe, race et genre d’une part, et sur L’Idiot de la famille d’autre part.

Pour autant, ces deux thématiques sont bien des propositions et non des contraintes ; elles laissent ainsi toute latitude aux propositions les plus diverses afin de rendre compte de l’œuvre de Sartre dans toutes ses dimensions (roman, théâtre, philosophie, essais sur la littérature, réflexion politique), ainsi que de la relation entre cette œuvre et celle d’autres écrivains et philosophes.

 

 

I. Classe, genre, race

 

Quelle est la part de l’héritage sartrien dans les théories critiques contemporaines des formes de domination relatives aux positions de classe, de genre et de race ? Et dans quelle mesure Sartre a-t-il contribué, en son temps, à façonner l’espace théorique depuis lequel se pose aujourd’hui le problème de l’articulation entre les différentes formes de domination ? C’est à ces questions que la première journée de notre Colloque propose de s’atteler. Si la domination de classe est centrale dans le marxisme revisité de Sartre – occupant notamment toute une section décisive de la Critique de la raison dialectique consacrée à l’être-de-classe – elle ne constitue pas pour autant l’alpha et l’oméga de la domination : comme beaucoup de catégories abstraites mobilisées par Sartre, la notion d’être-de-classe est appelée à être élevée au concret des situations, à être mise au travail sur un matériau historique où se croisent d’autres formes de domination, requérant des modes d’intelligibilité spécifiques. 

          Un premier axe de réflexion consisterait à réexaminer les textes de la deuxième moitié des années 40 consacrés au racisme (notamment, Réflexions sur la question juive, « Orphée Noir », le deuxième Appendice des Cahiers pour une morale consacré à l’oppression esclavagiste aux USA) à la lumière des analyses marxistes ultérieures en termes d’exploitation de classe – dont la critique du phénomène colonial algérien entamée dans la Critique de la raison dialectique, et approfondie dans Les Racines de l’éthique, constitue un point d’acmé. Nous proposons de poursuivre le dialogue entre Sartre et ses interlocuteurs privilégiés sur la question des dominations combinées de classe et de race, parmi lesquels Richard Wright, Frantz Fanon, Albert Memmi[1]. Nous suggérons également d’ouvrir le dialogue à d’autres interlocuteurs contemporains de Sartre mais non mobilisés par lui : ainsi, par exemple, Abraham Léon pour une relecture matérialiste de la question juive[2], ou C.L.R. James pour son souci d’inscrire les luttes anti-racistes et anti-coloniales dans l’horizon universalisant d’une révolution mondiale[3]. L’enjeu de ces différents dialogues serait d’élucider l’articulation de ce que Sartre appelle le « stade éthique » de la révolte – premier pas dans une prise de conscience de l’oppression en termes de domination spécifique de race – à une perspective révolutionnaire plus large en termes d’être-de-classe. Nous encourageons enfin à interroger l’héritage de la conceptualité sartrienne autour de l’universel et du particulier dans le champ des études postcoloniales, par exemple dans l’œuvre de Lewis Gordon, promoteur d’un « existentialisme Noir ».

Un deuxième axe de réflexion concerne la question des rapports entre le genre et l’œuvre littéraire et philosophique de Sartre, qui mériterait d’être reconsidérée. En 1961, William Barrett, dans Irrational Man. A Study in Existentialist Philosophy, introduisait l’idée que l’en-soi sartrien aurait un sexe et qu’il serait féminin : « Sa douceur a la qualité du féminin. Derrière toute la dialectique intellectuelle de Sartre, nous décelons que l’en-soi est pour lui l’archétype de la nature : la nature excessive, féconde, épanouie – la femme (“woman”), le féminin (“female”)[4]. » Inversement, le pour-soi, associé à la liberté radicale et au projet, serait « l’aspect masculin de la psychologie humaine4 ». En 1970, tout en contestant certaines des analyses de W. Barrett, Margery Collins et Christine Pierce arrivent à la même conclusion : L’Être et le Néant et les fictions sartriennes attribueraient à l’en-soi des qualités spécifiquement féminines[5]. Il serait intéressant, à leur suite, de relire les pages de L’Être et le Néant sur le visqueux et le trou et d’interroger ce que Julien Murphy appellera la « preuve-des-trous-et-du-visqueux[6] » : le visqueux serait une qualité de l’en-soi, or le visqueux désignerait la femme chez Sartre, donc l’en-soi serait identifié par Sartre à la femme. Plus largement, nous encourageons les communications qui interrogeraient la place des femmes et les rapports entre les sexes dans l’œuvre philosophique, romanesque et dramatique de Sartre.

 

II. Lire L’Idiot de la famille

 

Quinze ans après le numéro que Recherches & Travaux consacra à L’Idiot de la famille, le constat de Julie Anselmini et Julie Aucagne semble inchangé : « [...] il peut paraître de bon ton de railler L’Idiot de la famille, mais l’œuvre continue de fasciner ses détracteurs[7] ». Les railleries portent aussi bien sur la forme – les redondances dues, tantôt à la méthode « progressive-régressive » de Sartre, tantôt au caractère inachevé de l’ouvrage – que sur le fond – on sait que les flaubertiens déplorèrent les détournements opérés par un Sartre trop sévère pour son sujet.

La genèse de l’œuvre est relativement bien connue : après avoir affiché, dans L’Être et le Néant (1943), son ambition d’étudier le cas de Flaubert pour illustrer sa théorie nouvelle de la psychanalyse existentielle, après avoir fait de Flaubert l’incarnation de l’écrivain désengagé dans Qu’est-ce que la littérature (1947), Sartre écrit ensuite, en réaction au défi lancé par Roger Garaudy, une étude sur Flaubert capable de concurrencer le marxisme dévoyé et sclérosé de Garaudy : ce sera le début de Questions de méthode (1957). On y trouve les ferments de L’Idiot de la famille, aussi bien chronologiques (insistance sur l’enfance de Flaubert) que méthodologiques (usage croisé des sciences humaines et sociales considérées comme disciplines auxiliaires pour l’élaboration d’une connaissance dialectique du singulier). Mais ce n’est qu’au début des années 1960 que Sartre commencera à proprement parler la rédaction de L’Idiot de la famille ; les deux premiers tomes paraîtront en 1971, le troisième en 1972. Durant l’été 1974, désormais presque totalement aveugle, Sartre abandonnera la rédaction du quatrième tome, consacré à Madame Bovary.

De ce quatrième tome, dont la forme elliptique et proleptique révèle une « résistance dans la gestation du texte[8] », la critique n’a presque rien dit : c’est que ces notes fragmentaires condensaient toute la difficulté des tomes précédents tout en résistant à leur lisibilité. Or l’étude de Madame Bovary est simultanément le point de départ et le point d’arrivée de l’étude, et il serait intéressant, après l’article proposé par Patrice Vibert[9], d’en poursuivre le déchiffrement. Pour cela, une (re)lecture des trois premiers tomes s’impose : ils amorcent et désamorcent dans un même mouvement une lecture qui ne verra jamais le jour.

 

De ces trois tomes, plusieurs autres lectures pourraient être proposées :

1/ Une première piste consisterait à interroger le rapport de L’Idiot de la famille au contexte politique[10] et intellectuel dans lequel il a été écrit, principalement le structuralisme. Dès la parution de l’œuvre, le dialogue de Sartre avec les structuralistes parut évident[11] ; il n’a cependant pas été épuisé par la critique. Récemment, Thomas Bolmain avait pu insister sur l’opposition se jouant en filigrane dans L’Idiot de la famille au Foucault de La Naissance de la clinique[12]. Plus récemment encore, Delphine Jayot soulignait la saturation de l’intertexte lacanien dans le premier chapitre de l’essai : « Tout dans l’esprit de ce chapitre – la réflexion sur le langage, la mauvaise insertion de Gustave dans un monde qui est avant tout langage – peut renvoyer à des thèmes lacaniens[13]. » Outre ce rapport de l’essai sartrien au structuralisme, aussi bien dans ses reprises que dans ces oppositions, il serait bienvenu d’interroger le style de L’Idiot de la famille. La méthode progressive-régressive implique par exemple le recours à des figures de la redondance, mais également à des digressions qui mériteraient une attention plus aiguë.

2/ Une seconde piste de lecture consisterait à envisager L’Idiot de la famille comme une reformulation, par une mise à l’épreuve sur le cas Flaubert, des divers chantiers entrepris par Sartre dans ses ouvrages antérieurs, notamment : l’imaginaire et ses modes d’intentionnalité (le « choix de l’irréel ») ; le néant et ses figures ; la totalisation et ses modes d’intelligibilité ; la praxis et ses envers (la passivité constituée).

 

 

Les communications, généralement présentées en français, peuvent également l’être en anglais. Dans ce cas, il sera demandé à l’orateur de fournir, à l’avance, un résumé en français à destination des auditeurs du colloque.

Les propositions de communication, qui doivent comporter un titre et un résumé en un paragraphe, sont à faire parvenir au GES pour le 31 janvier 2022. Les communications ne devront pas excéder 30 minutes.

Prière de faire parvenir vos propositions de communication à l’adresse du secrétariat du GES : ges.secretariat@gmail.com

 

Site :

http://ges-sartre.fr

 

 

 



[1] Nous renvoyons aux travaux entrepris déjà en ce sens par Grégory Cormann, Sartre. Une anthropologie politique, 1920-1980, Berne, Peter Lang, 2021.

[2] Abraham Léon, La Conception matérialiste de la question juive [1946], Genève, Entremonde, 2017.

[3] C. L. R. James, Sur la question noire. La question noire aux Etats-Unis, 1935-1967, Paris, Syllepses, 2012 ; Histoire des révoltes panafricaines, Paris, Amsterdam, 2012.

[4] William Barrett, Irrational Man. A Study in Existentialist Philosophy, London/Melbourne/Toronto, Heinemann, 1961, p. 226.

[5] Margery Collins et Christine Pierce, « Holes and slime : sexism in Sartre’s psychoanalysis », Philosophic Forum, n° 5, 1973, repris dans Carol C. Gould et Marx W. Wartofsky (éd.), Women and Philosophy. Toward a theory of liberation, New York, A Perigee Book, 1980, p. 112-127.

[6] Julien S. Murphy, « Introduction », dans Julien S. Murphy (dir.), Feminist Interpretations of Jean-Paul Sartre, University Park, Pennsylvania State University Press, 1999, p. 7.

[7] Julie Anselmini et Julie Aucagne« Présentation »Recherches & Travaux [En ligne], n° 71, 2007, mis en ligne le 15 avril 2009, consulté le 12 novembre 2021URL : http://journals.openedition.org/recherchestravaux/216.

[8] Gilles Philippe, « Le protocole prérédactionnel dans les manuscrits de L’Idiot de la famille », Recherches & Travaux, n° 71, 2007, p. 143.

[9] Patrice Vibert, « Quelques propositions pour une lecture sartrienne de Madame Bovary », Revue Flaubert, n° 8, 2008, https://flaubert.univ- rouen.fr/revue/revue8/vibert.php, consulté le 18 février 2021.

[10] Contexte maoïste notamment, ainsi que l’a montré Jean Bourgault dans « Les désarrois de l’élève Clouet. Sartre et le maoïsme », Les Temps Modernes, n° 658-659, 2010, p. 2-48.

[11] Claude Ambroise, « L’Idiot de la famille : una critica letteraria antistrutturalista », Aut-Aut, n° 137-139, 1973, p. 85-102.

[12] Thomas Bolmain, « La langue de Flaubert et l’idéologie structuraliste dans L’Idiot de la famille », communication proposée dans le cadre de l’atelier sur Sartre et le langage lors du colloque annuel du Groupe d’Études Sartriennes, 24-25 septembre 2021.

[13] Delphine Jayot, « L’Idiot de la famille. L’impossible projet ? », dans Flaubert et le moment théorique, Pierre-Marc de Biasi et Anne Herschberg Pierrot (dir.), Flaubert et le moment théorique (1960-1980), Paris, CNRS Éditions, 2021, p. 270.