Françoise Dastur: Heidegger et la pensée à venir

Heidegger et la pensée à venir Book Cover Heidegger et la pensée à venir
Problèmes & controverses
Françoise Dastur
Vrin
2011
252

Reviewed by: Christophe Perrin (Fonds National de la Recherche Scientifique)

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Recension originale publiée dans Bulletin heideggerien 3, 2013

Du neuf avec du vieux ? Non : du classique avec du moderne. Tel est le secret de fabrication du dernier ouvrage de Françoise Dastur, le premier qui, eu égard à son titre ou à son sous-titre, ne porte pas littéralement sur une question chez Heidegger – contrairement à Heidegger et la question du temps (1990), Heidegger et la question anthropologique (2003) et Heidegger. La question du logos (2007) –, sans doute parce qu’il les pose toutes dans l’horizon de ce qui s’avère, du moins à nos yeux, la question la plus digne de question chez ce penseur : celle, précisément, de sa pensée, c’est-à-dire de la pensée à venir. Classique donc, ce livre l’est d’emblée pour reposer sur des études qui, depuis 25 ans, ont modelé la compréhension la plus large et l’interprétation la plus juste de la pensée heideggérienne en France – autant qu’à l’étranger, étant donné les diverses traductions des travaux de l’A. et leur réception, notamment américaine. Moderne, ce livre l’est aussi pour proposer ces textes « dans une version nouvelle, et pour certains, profondément remaniée et augmentée » (p. 251), certainement afin de coller au plus près aux progrès de la littérature primaire – les récentes livraisons de la Gesamtausgabe – et de la littérature secondaire – les préoccupations actuelles de l’exégèse internationale. D’où, parfois, la sensation d’une paramnésie de reconnaissance, ou illusion du déjà vu, sinon du déjà lu. Si, ici et là, nous pensons en effet relire l’A., ce n’est pas qu’elle se répète – pas plus que le bon professeur qui se doit de reprendre afin de faire apprendre –, mais parce que nous répétons avec elle ce que, depuis longtemps, elle nous enseigne : l’intelligence du texte heideggérien – au double sens et du mot, et du cas : l’ingéniosité qui est la sienne comme l’entente que nous en avons.

Prenant, dans ce volume, comme « axe privilégié de référence » la Kehre des années 1930, qui fait passer Heidegger « de l’approfondissement de la métaphysique traditionnelle à [son] «dépassement» » (p. 7), autrement dit à son « assomption » – puisque, l’A. le rappelle, l’Überwindung se comprend comme Verwindung (p. 219) –, Françoise Dastur se donne pour fin de « prendre toute la mesure de la «révolution du mode de penser» à laquelle en appelle Heidegger », (p. 10) et pour moyen d’étudier cette « pensée à venir » dont il est dit, sinon prophétisé par lui en 1946 qu’« elle ne sera plus philosophie » (GA 9, 364). Douze chapitres répartis trois par trois dans quatre parties distinctes, soit quelque 240 pages plus loin, l’objectif est atteint, et cela après une introduction aussi interrogative qu’apéritive : « La pensée à venir : une phénoménologie de l’inapparent ? » (pp. 11-24). Car cette mise en bouche assure exquisement – et même exotiquement – la mise en tête de ce syntagme : après un retour sur, non pas l’école à laquelle appartient Heidegger, mais la méthode qu’il met en œuvre – la phénoménologie –, et avant un détour par l’intérêt dont il témoigne pour l’Orient et, plus particulièrement, pour le vide de la scène dans le nô – l’inapparent –, l’A. évoque la formule par laquelle le penseur, dans le séminaire de Zähringen, définit ultimement sa pensée – « phénoménologie de l’inapparent » (GA 15, 299) –, tout en suspendant là son propos. Il faudra patienter jusqu’à sa quasi fin pour que le thème liminaire refasse surface, bouclant ainsi la boucle (p. 225). Eussions-nous aimé que Françoise Dastur opte pour une relecture de l’œuvre heideggérienne à rebours, afin de voir comment et de savoir pourquoi le travail du penseur demeure, de bout en bout, phénoménologique ? Vœu pieux. Elle préfère que nous avalions dans l’ordre les sections de son livre, en terminant par son menu.

Or, c’est à lui que nous voudrions borner ce compte rendu, tant il est, dans ce recueil de reprises revues et corrigées, non seulement l’unique part inédite, mais plus encore le morceau de choix. C’est qu’en cette « table des matières » (p. 253) sur laquelle se clôt l’ouvrage se contemple de l’A. toute la maestria. Intitulée « De Être et temps à la pensée de l’Ereignis », la première partie articule, plus que les motifs du monde (pp. 27-43), de l’espace (pp. 45-58) et du temps (pp. 59-75), le traitement de chacun par les trois Heidegger – celui du Tournant, comme celui d’avant ou d’après lui. Intitulée « Une autre pensée de l’être de l’homme », la deuxième partie renvoie anthropologisme et anthropomorphisme dos à dos (pp. 79-96), unit la question de l’être à celle que nous sommes (pp. 79-96) et, derrière le dire de son dit, ressaisit l’éthique de Heidegger comme « éco-nomie de l’Unheimlichkeit » (pp. 119-132 ; ici p. 129). Intitulée « Une autre pensée du divin, du néant et de l’être », la troisième partie – toutes pièces à l’appui insistons-y – , instruit les dossiers de la relation de Heidegger à la théologie jusque dans la « théiologie de la pensée » (pp. 135-154 ; ici p. 153), de sa conception du nihilisme dans sa différence d’avec celle de Jünger (pp. 155-169) et de sa compréhension du commencement grec dans l’explicitation de la parole d’Anaximandre (pp. 171-185). Intitulée « D’une pensée qui ne serait plus philosophie », la dernière partie s’interroge sur l’existence d’une philosophie de l’histoire chez Heidegger (pp. 189-206), sur la signification de la fin de la philosophie sous sa plume (pp. 207-226) et sur le sens de l’avenir de la présence humaine dans l’événement de l’être (pp. 227-250). Tout n’est-il pas là ? Tout, c’est-à-dire chacune des lignes de force que nous observons à lire les lignes dédiées par Heidegger à l’établissement de cet autre commencement de la pensée qui fait sa pensée ?

L’herméneute le plus fin d’un penseur toujours en chemin se doit d’offrir au lecteur, pour traverser son œuvre, la meilleure des boussoles. Avec Heidegger et la pensée à venir, Françoise Dastur, en offre une très bonne. Mais si le diable se cache dans les détails, Hermès se niche ici dans le sommaire.

 

 

 

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